39
Éprouvé par les festivités, Semourê mit les larmes d’Imnakh sur le compte de la joie des retrouvailles. Les instants qui suivirent furent agités. À la grande satisfaction du jeune homme, jamais sa compagne n’avait fait montre d’une telle ardeur. Elle faisait l’amour avec passion, presque avec rage, comme si elle avait voulu lui faire payer ses écarts de conduite avec Asnat. Pourtant, elle n’en parla pas. Elle lui avoua seulement qu’elle s’était rendu compte que sa propre attitude était stupide, et qu’elle désirait revenir près de lui, s’il voulait toujours d’elle. Elle se moquait d’Asnat, comme de toutes les autres. Un seigneur de Kemit avait le droit d’avoir plusieurs concubines.
Ce revirement soudain faisait parfaitement l’affaire de Semourê, dont l’esprit embrumé par les vins de Dakhla fonctionnait au ralenti. La fougue de leurs ébats ne fit rien pour arranger sa lucidité. Tous deux restèrent au lit toute la journée, à la grande joie des serviteurs qui se commentaient les événements avec des rires égrillards. Lorsque Atoum gagna l’horizon de l’ouest, Semourê était au bord du coma. Il sombra dans un sommeil lourd et sans rêves.
La nuit suivante, il entendit des gémissements. Il s’éveilla d’un coup, le cœur battant la chamade, la tête bourdonnant de derniers relents d’alcools. Près de lui, Inmakh était agitée de tremblements convulsifs. Dans son sommeil, elle semblait avoir des difficultés à respirer. Soudain, elle se redressa, les yeux exorbités, et se mit à hurler de terreur. Il tenta de la prendre contre lui, mais elle se raidit sans cesser de crier. Puis elle reconnut l’endroit où elle se trouvait et parvint à se calmer au prix d’un violent effort sur elle-même.
— Ce n’était qu’un cauchemar, murmura Semourê. Tu vois, tout va bien.
Elle acquiesça sans un mot, puis éclata en sanglots. Avec patience, il parvint à l’apaiser.
Plus tard, elle fut de nouveau prise par son accès de frayeur. Cette fois, elle se leva d’un bond, comme un animal pris au piège, et courut se réfugier dans le jardin. Lorsque Semourê la retrouva, elle vomissait contre un arbre. Il attendit qu’elle eût repris son souffle, puis la ramena doucement vers la chambre.
— Que se passe-t-il, ma belle ? Je ne t’ai jamais vue dans cet état.
— Ce n’est rien, parvint-elle à articuler. Je… Je crois que j’ai eu trop peur de te perdre.
— Mais je suis là. J’ai rompu avec Asnat. Hier, j’avais pris la décision de partir à ta recherche. Et tu es venue. Tu n’as donc plus rien à redouter.
Elle grimaça un pâle sourire à travers ses larmes, puis elle se blottit dans ses bras. Bien que sa réaction lui parût quelque peu excessive, il était trop heureux de son retour pour se poser des questions.
Les nuits suivantes furent à l’image de la première. Imnakh se donnait avec passion, presque avec férocité. Leur joutes amoureuses rappelaient un combat d’animaux sauvages. Au début, Semourê avait pensé qu’elle voulait lui faire oublier ses autres maîtresses. Puis un sentiment nouveau s’imposa à lui. Elle semblait lutter contre quelque chose, comme si un démon invisible s’attachait à ses pas, jusque dans leur intimité. Sa rage amoureuse était un moyen de lutter contre cette entité menaçante.
Dans la journée, elle ne se montrait plus capricieuse. Curieusement, elle semblait osciller entre deux états opposés. Souvent, elle paraissait abattue. Puis son visage s’éclairait, et elle faisait preuve d’un enjouement soudain, qui sonnait un peu faux. Il était sûr à présent qu’elle avait vécu une expérience difficile durant son absence. Il tenta de lui en parler. Elle avoua seulement qu’elle s’était rendue dans son domaine de Bubastis où elle s’était intéressée au travail des paysans. Elle l’assura que ses crises d’angoisse n’étaient dues qu’à sa peur de la solitude, et qu’elles allaient s’estomper avec le temps.
Elle l’accompagnait souvent à la Maison des gardes bleus. Elle s’intéressait à son travail, posait des questions sur l’évolution des enquêtes en cours, notamment celles concernant les attentats commis contre le couple royal. Cet intérêt soudain intrigua Semourê. Mais après tout, peut-être était-ce un moyen pour elle de se rapprocher de lui.
Les cauchemars persistaient. Pourtant elle refusait obstinément de lui raconter ce qu’elle voyait. Elle semblait vivre dans un état de terreur quasi permanente. Cette attitude singulière conforta Semourê dans l’idée qu’elle avait subi une épreuve angoissante pendant son séjour à Bubastis.
Une nuit, elle évoqua dans son sommeil une créature à tête de serpent. Semourê, qui l’observait, impuissant à la secourir, réagit immédiatement. Avait-elle été victime, ou témoin d’une agression perpétrée par les monstres qui attaquaient les jeunes mères ? Il l’éveilla et lui posa la question. Aussitôt, elle se mit à trembler, tout en lui jurant qu’elle ignorait de quoi il parlait. Lorsqu’elle fut enfin calmée, il s’obstina :
— Je suis sûr que tu sais quelque chose.
— Non ! C’est toi qui m’as parlé plusieurs fois de ces monstres. C’est pour cela que j’en rêve.
Il était visible qu’elle mentait ; elle refusait de parler parce qu’elle mourait de peur. Il décida de la prendre par la douceur.
— Tu sais que tu peux avoir toute confiance en moi. Dis-moi ce qui ne va pas !
— Mais tout va bien ! Ma vie n’avait plus aucun sens loin de toi. C’est seulement pour ça que je suis revenue. Il… il n’y a rien d’autre. Rien !
Elle avait presque crié le dernier mot. Semourê poursuivit :
— Un nouveau crime a été commis dans la région de Bubastis pendant que tu étais là-bas. Peut-être sais-tu quelque chose.
— On en a parlé devant moi, mais j’ignore tout de ce crime. Je te jure que c’est vrai !
Semourê la prit contre lui avec tendresse.
— Je veux bien te croire. Mais, depuis ton retour, ton attitude est étrange. Alors, si tu avais envie de me parler, je t’écouterais. Et si quelqu’un te menaçait, je saurais te défendre. N’oublie pas que je suis le général de la Garde bleue. Le roi lui-même te prendra sous sa protection. Personne ne pourra rien contre toi.
— Il ne s’est rien passé à Bubastis, s’obstina-t-elle.
Il n’insista pas. Tandis qu’elle se rendormait, il médita longuement pour tenter de comprendre. Qu’avait-elle pu voir ou entendre à Bubastis pour en éprouver une telle terreur ? Cela avait-il un rapport avec les assassinats des jeunes femmes ? Ou avec la secte des prêtres de Seth ? Il décida d’envoyer immédiatement l’un de ses capitaines sur place.
Quelques jours plus tard, le guerrier lui fit son rapport. Apparemment, tout semblait normal aussi bien dans le domaine d’Inmakh que dans la cité de Bubastis. Les eaux du Nil avaient pratiquement regagné le lit du fleuve, engendrant les sempiternels problèmes de bornage. En dehors des querelles entre paysans et scribes, qui donnaient beaucoup de travail aux juges locaux, il n’y avait rien à signaler.
— Je me suis rendu dans le village où a eu lieu le dernier crime, ainsi que tu me l’as demandé, Seigneur. Mais il n’y a pas eu de témoins. Et ce village est situé sur la rive opposée au domaine de dame Inmakh, à plusieurs miles de distance. Il est impossible qu’elle ait pu voir quoi que ce soit.
Perplexe, Semourê remercia le soldat. Avec la fin de la crue, la plupart des ouvriers du chantier de Saqqarâh commençaient à regagner leurs villages. Il aurait pu relâcher la protection du couple royal. Mais l’attitude d’Inmakh l’incitait à penser que de graves événements se tramaient. Aussi demanda-t-il à ses gardes de redoubler de vigilance.
Durant les jours qui suivirent, son intendant, qu’il avait chargé de surveiller discrètement sa compagne, constata qu’elle s’absentait régulièrement de la demeure, sans l’escorte de serviteurs exigée par son rang. Intrigué, Semourê décida de s’en ouvrir à Moshem. Celui-ci déclara :
— Si elle est victime d’une menace ayant rapport avec la secte, cela fait partie de la mission que m’a confiée le roi. Désires-tu que je la suive ?
— Oui. Mais montre-toi prudent ! Ceux qu’elle redoute doivent être très puissants pour provoquer une telle terreur chez elle. De plus, elle te connaît.
— Ne t’inquiète pas, Semourê ! Elle ne se méfiera pas de moi.
Le lendemain matin, Moshem et Nadji, déguisés en mendiants, vinrent se poster non loin de la demeure de Semourê. Habilement grimés de miel et de pain, ils étaient impossibles à identifier. Le maître des lieux lui-même s’y trompa, qui faillit repousser brutalement le pauvre hère posté son chemin pour lui demander l’aumône.
— Ami Semourê, tu ne me reconnais donc pas ?
— Moshem ?
— Moi-même ! Ce déguisement te convient-il ?
— Il est parfait. Qu’Horus te protège, mon ami !
Lorsqu’il s’éloigna, Semourê convint que le roi n’aurait pu choisir un meilleur Directeur des enquêtes. Quel noble aurait accepté de jouer ainsi les mendiants ?
Un peu plus tard, les deux complices virent Inmakh quitter les lieux sans escorte. Discrètement, ils lui emboîtèrent le pas. Leur poursuite les mena vers l’Oukher, où elle pénétra dans une auberge sombre, sous les regards intéressés des hommes à la mine patibulaire qui hantaient l’endroit. Habilement, ils parvinrent à se glisser à l’intérieur. Moshem repéra aussitôt la jeune femme, en grande conversation avec un gros bonhomme enveloppé dans une vaste couverture. En raison de la pénombre, il était difficile d’apercevoir son visage. Mais il avait, lui aussi, l’allure d’un mendiant.
Afin de ne pas attirer l’attention, Moshem et Nadji quittèrent l’auberge, préférant attendre la jeune femme à l’extérieur. Lorsqu’elle sortit, Moshem constata qu’elle reprenait la direction de la cité. Sans doute allait-elle regagner la demeure de Semourê. Ils attendirent la sortie de l’homme qu’elle venait de rencontrer. Celui-ci ne tarda pas. Il jeta un bref coup d’œil autour de lui, comme s’il craignait d’être reconnu. Mais tout semblait calme. Il se dirigea ensuite vers les quais, sans prêter attention aux deux vagabonds qui lui emboîtèrent le pas.
Dissimulés derrière des ballots, Moshera et Nadji le virent monter à bord d’une petite felouque de transport, dont ils s’approchèrent au plus près. Curieusement, les mariniers accueillirent l’inconnu avec des marques de déférence peu compatibles avec sa misérable défroque.
— Tout cela est de plus en plus étrange, murmura Moshem. Nous devons suivre cet homme.
— Et comment ? Ils se préparent à partir. Nous ne pouvons pas nager derrière eux.
— Pourquoi ? Aurais-tu peur des crocodiles ? répondit Moshem en riant.
— Ben…
— Ne t’inquiète pas, je vais trouver un autre moyen. En attendant, reste ici et surveille-les !
Avant que Nadji ait pu répondre, Moshem était déjà parti. Lorsqu’il revint, la felouque suspecte avait quitté le quai et pris la direction du nord, laissant derrière elle un Nadji affolé.
— Ils sont déjà loin, Seigneur !
— C’est parfait ! Nous allons les suivre. Suis-moi !
Il l’entraîna vers une felouque qu’il venait de louer à un marinier contre un anneau d’or. La vue de la bague marquée de l’œil d’Horus avait impressionné le bonhomme et assuré sa discrétion. Les deux mendiants embarquèrent sous son œil intrigué. Moshem jeta un sac de toile à Nadji.
— Il y a là-dedans de quoi nous déguiser en pêcheurs. Il est inutile d’attirer l’attention.
Puis il s’adressa au pilote, nommé Kebekh.
— Tu vas suivre ce grand navire en essayant de ne pas te faire repérer.
— Que le seigneur se rassure, répondit-il avec un grand sourire. Il n’y a pas de meilleur navigateur que moi sur le Nil. Ils ne nous échapperont pas.
En effet, malgré sa forfanterie, l’homme ne mentait pas. Adoptant l’allure d’une felouque de pêcheurs mollement portée par le courant, il parvint à suivre le vaisseau inconnu sans attirer l’attention. Le nombre des flottilles de pêche et des bateaux de transport circulant sur le fleuve lui facilitait la tâche.
De loin, Moshem observait le navire. Il comprit qu’il tenait une piste intéressante lorsqu’il constata que le gros homme avait troqué ses hardes de mendiant contre de riches vêtements. Pour quelles obscures raisons se grimait-il ainsi ? De qui voulait-il se cacher ?
Portés par le courant, les deux vaisseaux descendirent le Nil en direction du bras oriental de Bubastis. Rythmée par les flots lents du fleuve, l’étrange poursuite se prolongea, menant inexorablement les deux bateaux vers le nord. Parfois, le marinier devait prendre quelques risques afin de déterminer le bras emprunté par le fuyard. Mais pas une fois l’équipage adverse ne leur prêta attention. Les felouques de pêche étaient nombreuses, et toutes se ressemblaient.
Le premier soir, Moshem et ses compagnons durent bivouaquer en pleine nature, peu avant la cité de Bastet, à quelque distance de l’équipage poursuivi. Moshem pensa qu’il tenait la réponse à la frayeur d’Inmakh. Pourtant, le lendemain, lorsque le voyage reprit son cours, le navire s’engagea dans un bras situé dans la partie extrême-orientale du Delta, délaissant Bubastis sur la gauche. À cet endroit, les pêcheurs se faisaient plus rares et Moshem dut laisser une plus grande distance entre le bateau et sa felouque.
— Qu’Apophis leur bouffe les tripes, jura Nadji. Ils ont disparu.
En effet, dans le milieu de l’après-midi, le navire s’était évanoui au cœur d’un étrange labyrinthe végétal qui envahissait largement le bras du fleuve. C’était le royaume des crocodiles et des oiseaux de toutes espèces. Moshem s’obstina jusqu’à la tombée du jour, puis finit par renoncer.
— Par les dieux, par où ont-ils pu passer ? grogna-t-il.
— Il doit exister un passage, mais si nous continuons ainsi, nous allons nous perdre, dit Kebekh.
Soudain, un concert de hurlements retentit autour d’eux. L’instant d’après, surgissant des profondeurs de la végétation, une horde de personnages hirsutes, entièrement nus, se rua dans leur direction en empruntant des nacelles de papyrus. Nadji se mit à claquer des dents. Les inconnus étaient armés de casse-tête, de poignards de silex, de javelots emmanchés de pointes de pierre. Plusieurs agitaient des boomerangs dont visiblement ils savaient se servir.
— Les bergers des marais ! s’exclama Kebekh.
— Ils font partie du peuple d’Égypte, dit Moshem. Pourquoi se montrent-ils agressifs ?
— Je… Je n’en sais rien.
— Je n’aime pas ces individus, renchérit Nadji. Ils portent la barbe et ils sentent mauvais.
— Nous ferions mieux de déguerpir, insista le marinier.
— Par où ? Ils nous coupent la route.
En effet, une partie des nacelles contournait la felouque pour lui barrer le passage. Bientôt, celle-ci fut encerclée par une flottille d’esquifs chargés de visages hostiles. C’était la première fois que Moshem voyait de près ces individus auxquels on confiait les troupeaux lorsque la sécheresse menaçait la vallée. À l’inverse des citadins, ils arboraient fièrement moustaches et favoris, et leurs cheveux se relevaient en chignons retenus par des bijoux en os ou en bois. Un ululement impressionnant jaillissait de leurs poitrines tandis qu’ils brandissaient leurs lances en direction des trois compagnons. Nadji se mit à bredouiller.
— Seigneur Moshem, on… on dit que… parfois, ils mangent de la chair humaine. Co… Comment vas-tu faire pour nous tirer de là ?
— Aucune idée, répondit le jeune homme, le visage blême.
Sur une nacelle un peu plus grande que les autres se tenait un personnage campé fièrement sur ses jambes, le corps couvert de scarifications rituelles, et la tête auréolée d’une couronne de plumes d’autruche. Apparemment, il tenait à être le premier à attaquer.
— C’est leur chef, grelotta Kebekh, recroquevillé autour de sa longue rame.
Moshem eut le sentiment qu’ils étaient perdus. Pour une raison inconnue, quelque chose avait déclenché la colère des bergers, et ils recherchaient des victimes expiatoires. Tout à coup, ses yeux tombèrent sur la bague que lui avait donnée Djoser, décorée de l’œil d’Horus. Si les hommes des marais conservaient une quelconque fidélité au roi, elle constituait leur dernière chance. Moshem brandit bien haut le bijou, fixant l’œil sur le chef. Celui-ci, interloqué, baissa sa lance, puis s’exclama :
— L’œil ! C’est l’œil du fils du Soleil !
Puis il fit signe à ses guerriers de ne pas bouger. Moshem poussa un énorme soupir de soulagement. Au moins, ils parlaient égyptien.
— Qui es-tu ? demanda le chef.
— Je suis Moshem, capitaine de la Garde royale, et ami de l’Horus Djoser et de la reine Thanys.
Le soir, Moshem et ses compagnons étaient accueillis dans le village des bergers. En tant qu’amis du roi, ils étaient les bienvenus. Leur chef, Mehrou, raconta à Moshem qu’il avait bien connu le roi Djoser autrefois, alors qu’il n’était qu’un jeune prince. Il avait tressé pour lui nombre de nacelles avec lesquelles il chassait les oiseaux. Malheureusement, depuis qu’il était monté sur le trône d’Égypte, Djoser ne prenait plus guère le temps de chasser. Mehrou le regrettait.
— Mais pourquoi voulais-tu nous tuer, tout à l’heure ?
Le chef serra les dents.
— Je vous avais pris pour les démons qui hantent les marais.
— Quels démons ?
— Il y a plusieurs mois, par deux fois, des femmes ont été tuées aux abords de notre village. La première fois, trois enfants furent enlevés. La deuxième fois, nous avons vu les assassins s’enfuir. Ils portaient des masques de serpent, mais nous avons vu que c’étaient des hommes. Alors, nous les avons pourchassés.
Il grimaça un sourire féroce de joie rétrospective. Puis il toucha un bracelet passé autour de son poignet gauche.
— Voilà ce qu’il reste d’eux.
Moshem se rendit alors compte que le bracelet était constitué d’os humains, apparemment des phalanges, incrustés de dents. Il retint un haut-le-cœur. Mehrou écarta les mains d’un air satisfait.
— Depuis, ils ne sont jamais revenus. Mais je sais qu’il s’est commis d’autres crimes dans la vallée.
— C’est vrai. Le roi m’a ordonné de démasquer ces chiens. Mais ils frappent toujours par surprise. Ils évitent les endroits où j’ai organisé des milices.
— Si tu parviens à en capturer un ou deux, fais comme nous ! Arrache-leur la chair des mains et des bras, puis relâche-les. Les autres n’auront pas envie de recommencer.
— Je… J’y penserai, acquiesça Moshem, impressionné.
Le surlendemain, il était de retour à Mennof-Rê. Après être passé chez Nebekhet pour rassurer Ankheri, plus morte que vive, il se rendit chez Semourê auquel il fit son rapport. Celui-ci se fit répéter par deux fois la description du gros mendiant rencontré par Inmakh.
— Pherâ ! ça ne peut être que lui !
— Qui est Pherâ ?
— Le père d’Inmakh ! Il fut grand vizir du roi Sanakht. À la mort du souverain, c’est lui qui poussa l’usurpateur Nekoufer à se dresser contre Djoser. Il fut spolié de ses biens et condamné à vivre de mendicité.
— À Mennof-Rê, il portait des hardes de mendiant.
— Il est rusé ! Ainsi, même si on l’avait reconnu, il ne contrevenait pas aux ordres du roi.
— Mais ce n’était pas un mendiant qui dirigeait ce navire. Apparemment, ce Pherâ est parvenu à sauver une partie de sa fortune.
— Je suis sûr qu’il est mêlé aux différents complots, s’exclama Semourê. Je vais le faire arrêter !
— Surtout pas ! Pas encore ! Il n’est probablement pas seul. Nous devons également capturer ses complices. Sinon, tout recommencera.
— Je saurai bien le faire avouer, gronda le chef de la garde.
— N’oublie pas le boulanger. Si ce Pherâ est lui aussi fanatisé, il préférera se tuer plutôt que de parler.
— Cela ne lui ressemble guère. Mais en attendant, Inmakh va devoir s’expliquer sur ces rencontres !
— N’en fais rien, mon ami ! Rien ne prouve qu’elle soit mêlée à tout cela. Tu ne peux en vouloir à une fille de revoir en cachette un père banni.
— Inmakh le détestait !
— Alors, raison de plus ! Tu m’as dit toi-même qu’elle semblait bouleversée depuis son retour. Tu sais à présent qui la terrorise. Il reste à savoir pourquoi. Il faut continuer à la surveiller.
Semourê ne répondit pas immédiatement.
— Je ne peux pas croire qu’elle soit complice de son père, dit-il enfin. En vérité, j’ai l’impression qu’elle a vécu quelque chose pendant son séjour à Bubastis. Quelque chose de si terrifiant qu’elle ne peut même pas m’en parler.